mercredi 28 juillet 2010

Quand les conservateurs laissent tomber les minorités

Décidément, l’été 2010 aura été celui où le gouvernement Harper aura déterré la hache de guerre contre les minorités. Quelques jours après que le ministre de l’Industrie, Tony Clement, eut annoncé son intention d’abolir le caractère obligatoire de la version longue du recensement, deux autres ministres conservateurs ont affirmé vouloir de leur côté abolir les politiques d’équité en emploi dans la fonction publique fédérale.

Ces deux mesures destructrices sont complémentaires. En retirant l’obligation de remplir la version longue, laquelle comprend une foule de questions touchant les conditions de vie des personnes vivant en situation de minorité, on prive les fonctionnaires, les responsables d’organismes oeuvrant auprès des immigrants, des femmes, des autochtones et des personnes handicapées, les chercheurs en sciences sociales et les intervenants, de données scientifiquement et statistiquement valides et représentatives. C’est ce qui a poussé le statisticien en chef de Statistique Canada, Monsieur Munir Sheikh, à remettre sa démission. Comment cela touche-t-il aux minorités ? Tout simplement parce que les catégories de personnes qui sont les plus susceptibles de ne pas remplir la version longue si elle n’est pas obligatoire seront précisément les personnes faisant partie des groupes minoritaires discriminés. Les personnes qui oeuvrent auprès de ces groupes auront ainsi moins d’informations pour comprendre ce qui bloque leur pleine participation à la société et il sera beaucoup plus difficile de mettre en place des politiques adaptées à leur réalité.

Parmi ces politiques se trouvent celles liées à l’équité en emploi. Or il se trouve que les conservateurs, par le truchement des ministres responsables de la fonction publique et de l’immigration, ont décidé de mettre la hache dans ces politiques également, et ce pour aucune raison valable.

Force est de constater que pour certains, cela représente une belle initiative des conservateurs. C’est le cas de Mathieu Bock-Côté, qui affirmait dans une chronique que la discrimination positive qu’on associe à tort ou à raison à l’équité en emploi était un scandale. Je me contenterai ici de ne citer qu’un passage particulièrement représentatif d’une certaine tendance : « Un mot d’abord sur la vision de la société des partisans de la discrimination positive. Selon eux, la société occidentale serait un système d’exclusion raciste et sexiste. Une ‘majorité blanche’ exercerait son hégémonie sur les grandes institutions et les ‘minorités’ seraient ghettoïsées, marginalisées. » Par cette seule phrase, il cherche à discréditer tous ceux et celles qui travaillent jour après jour à améliorer le sort de millions de personnes en situation minoritaire.

Une telle enflure des mots a pour effet de masquer la réalité qu’ils sont censés désigner.

La réalité est que les politiques d’accès à égalité ont pour objectif de compenser les effets d’une discrimination structurelle et statistiquement prouvée, qui s'accumule toute une vie et qui commence dès le choix d'un médecin de famille par la femme somalienne enceinte, qui se poursuit lors de la recherche d'un logement par la famille d’Africains ou d'Arabes, et qui continue lors du choix de la garderie, qui prend la forme du profilage racial, qui se concrétise dans des conditions de travail exécrables vécues par les aides familiales philippines, à travers les problèmes de quartiers, la prévalence de drogues et l'omniprésence de la criminalité, les gangs de rue, les prisons où sont surreprésentés les Noirs et les universités où les minorités visibles et les autochtones sont sous-représentés, par les plafonds de verre qui bloquent l’accès des femmes aux postes de pouvoir et qui limitent leur salaire, qui s’incarne dans le racisme déguisé lors des entrevues d’embauches, dans la non reconnaissance des diplômes quand on a eu le malheur de faire sa médecine ou son droit dans université étrangère qui n’est pas de la Ivy League. La discrimination existe et c’est elle qu’il faut combattre. Les politiques d’accès à égalité sont une des nombreuses mesures, imparfaites certes, qui existent pour lutter contre ce problème de société.

Il y a tout un monde de différence entre une société volontairement et ouvertement raciste, ce que le Québec n’est pas, et une société où les discriminations existent implicitement en s’insérant de façon suffisamment fréquente dans les interactions pour que des groupes entiers soient systématiquement désavantagés. Seules la malhonnêteté intellectuelle ou l’ambition politique peuvent empêcher de voir que la société québécoise et canadienne est exempte de ce triste phénomène.

L’utilisation accrue de la stratégie politique et rhétorique bassement populiste qui consiste à mobiliser le réflexe de défensive que nous avons tous lorsqu’on se fait accuser de racisme est extrêmement préoccupante. Plutôt que de nier la réalité de la discrimination structurelle vécue par les minorités, les intellectuels et les gouvernements qui se soucient vraiment des gens et de la vérité devraient plutôt chercher à la comprendre, à la documenter et à la combattre. Malheureusement pour nous tous, les Stockwell Day, les Jason Kenny et les Mathieu Bock-Côté de ce monde n’en ont cure.

Et Monsieur-et-madame-tout-le-monde là-dedans ? J’aime croire que les ‘gens ordinaires’ ont le désir de vivre dans une société solidaire, plutôt que dans une société où chacun, y compris les personnes appartenant à des groupes discriminés, est laissé à soi-même. La tendance conservatrice à voir dans les ‘gens ordinaires’ des individus qui ne se soucient que d’eux-mêmes est simplement indigne de ce à quoi nous pourrions tous aspirer.

La blanche majorité mérite mieux que de servir de prétexte politique pour attaquer les minorités.

mardi 13 juillet 2010

Le G20, les ouvriers chinois et nous

Coin Spadina et Queen, Toronto

Alors qu’une vague de suicides fait des ravages parmi les ouvriers chinois, alors que dans le golfe du Mexique une catastrophe écologique d’une ampleur inégalée et causée par l’activité humaine menace l’un des écosystèmes les plus fragiles de la planète et tandis que l’humanité entière se remet de peine et de misère de la plus grave récession depuis les années 30, récession causée par les spéculateurs et l’irresponsabilité du monde financier, on ne devrait pas s’étonner que des gens descendent dans la rue pour manifester leur opposition, leur doute, leur crainte et leur colère face aux dirigeants de la planète.

Face à cette diversité de problèmes causés par une mondialisation si mal encadrée, on ne devrait pas s’étonner qu’une foule également diversifiée de manifestants aux opinions hétéroclites et aux revendications parfois incompatibles entre elles ne se bouscule, et ne nous bouscule par le fait même, pour hurler son mécontentement.

Or, en décidant de tenir les sommets du G20 et du G8 à Toronto, Stephen Harper s’est assuré qu’aucun message critique légitime ne transpercerait le double mur qu’il a lui-même érigé entre les manifestants et les dirigeants du monde, d’une part, et entre les manifestants et les citoyens canadiens, d’autre part.

Alors qu’il aurait pu être une occasion de discussion, de débat et d’écoute autour de préoccupations légitimes touchant tant les Canadiens que les citoyens de pays moins riches et moins démocratiques, le sommet de Toronto a permis à un conservatisme bien de chez nous, Made in Canada/Fabriqué au Canada, de s’affirmer et de se galvaniser tant à travers les démonstrations de force de nos forces policières et de nos services de sécurité qu’à travers l’atteinte d’un consensus politique réactionnaire pour le statut quo.

Ce conservatisme canadien nouvellement assumé s’est notamment manifesté médiatiquement par l’attention accordée aux casseurs, amateurs et professionnels. En donnant les clés de la ville aux casseurs et aux extrémistes, Stephen Harper leur a donné par le fait même la une des journaux, privant ainsi des manifestants très majoritairement pacifiques mais désorganisés d’une opportunité de passer leur message et d’ouvrir, qui sait, un débat sur la manière dont la mondialisation devrait s’effectuer. À travers ce silence imposé par le brouhaha et les bruits assourdissant des vitres cassées, c’est la voix de ceux et celles qui sont les plus durement touchés par la mondialisation qu’on a bâillonnée. Un vrai leader se serait soucié de chercher à écouter, pas de faire taire et d’emprisonner.

La mondialisation pourrait être une source de progrès, un mot qu’on semble avoir banni de notre vocabulaire politique, mais perd tout son sens si des manifestants pacifiques se retrouvent entre quatre murs pour avoir eu la malchance de s’être trouvés sur le chemin de policiers « qui ne font que leur travail » ou quand, à l’autre bout du monde, des travailleurs s’enlèvent la vie parce qu’ils trouvent leurs conditions de travail insupportables. Quand vient le temps de réfléchir aux liens entre la croissance du PIB mondial et notre capacité à vivre une vie libre et épanouie, il y a au moins de la place pour un débat. Malheureusement pour les Canadiens et les ouvriers chinois, rien n’est plus étranger à Stephan Harper.