mercredi 25 août 2010

La construction idéologique de la différence du Québec : le cas des armes à feu

La rhétorique de la 'différence' du Québec est fréquemment utilisée par le Bloc Québécois pour justifier sa raison d'être en tant que défenseur des intérêts du Québec. Or, cette rhétorique politique de la 'différence' est fortement ancrée dans les médias nationalistes où sont le plus souvent mises en relief les différences entre le Québec et les Québécois et le Canada et les Canadiens, au détriment de ce qui est partagé et commun. La construction politique et médiatique d'une différence gonflée et artificielle du Québec vis-à-vis du Canada est ainsi un trait marquant de la politique québécoise. J'essaierai de montrer qu'en plus d'être fausse, cette façon de voir le monde à travers ses différences rend difficile la collaboration en vue du règlement de problèmes politiques importants partagés par tous les Canadiens. Rarement un jour ne passe sans que cette construction idéologique de notre 'différence' ne s'opère sous nos yeux, à tel point qu'on traite d'aveugles ceux qui refusent de regarder à travers les lunettes de la différentiation.

Ce fut le cas encore aujourd'hui, dans un article du Devoir analysant les résultats d'un sondage sur les perceptions des Canadiens sur la question des armes à feu. Le ton est donné dès le premier paragraphe de l'article : « L'abolition du registre des armes à feu revient au centre des débats à Ottawa et un nouveau sondage montre que les Canadiens sont nombreux à souhaiter sont démantèlement. Sauf au Québec, qui fait bande à part ». Et plus loin, dans un paragraphe intitulé « Le Québec à part », on se fait répéter, pour être bien sûr que nous avons compris : « Dans le sondage Angus Reid, on constate sans surprise que le Québec fait bande à part »

On peut facilement déconstruire cette affirmation de la 'distinction' québécoise en regardant une à une les questions du sondage, plutôt que la seule question pour laquelle la population du Québec s'exprime de façon légèrement différente (et encore).

La première question est la suivante : « In your view, is gun violence in Canada a very serious problem, moderately serious, not too serious or not a problem ». À cette question, 76% des Québécois on affirmé que la violence représentait un problème grave (très grave ou modéré), contre 71% des ontariens (une différence de 5%) et 66% des Britanno-colombiens (10% de différence).

Voici une autre lecture, axée sur ce que les gens ont en commun : 71% des Ontariens, soit un peu plus de 9 millions de personnes, partagent l'avis des 76% de Québécois, soit près de 6 millions de personnes, qui estiment que la violence par les armes à feu constitue un problème. Cela fait 15 millions de personnes. À l'échelle du pays, on parle d'un total de près de 24 millions de personnes (soit 70% des répondants), y compris 6 millions de Québécois. Jamais l'article ne fait mention de cette similarité, et un parti comme le Bloc est allergique à ce type d'identification des Québécois aux autres Canadiens.

La seconde question est la suivante : « Some people have called for a complete ban on handguns in Canada. Which of these statements comes closer to your own point of view » Le premier énoncé est le suivant: "A complete ban would be justified, since current regulations are not working and guns stolen from legal owners are being used in crimes". 57% des Ontariens, contre 54 % des Québécois et 49% des Britanno-colombiens voient leur point de vue reflété par cet énoncé, la moyenne canadienne étant précisément 49%. Encore ici, ce que partagent les Québécois avec une majorité écrasante de Canadiens pourrait facilement ressortir si on se donnait la peine de le faire. S'il y a différence des Québécois, elle ne ressort pas à travers cette question, bien au contraire.

La similarité entre les opinions des Ontariens et des Québécois apparaît également dans les résultats de la question suivante : « Do you think it should be legal or illegal for ordinary citizens to own firearms ? ». À cette question 53% des Ontariens et 54% des Québécois ont répondu que la possession d'arme à feu devrait être illégale. Les chiffrent parlent d'eux-mêmes.

Ce qu'une telle analyse première analyse permet tout d'abord de constater est que des pourcentages similaires d'Ontariens et de Québécois pensent la même chose sur la question des armes à feu. Cette proximité de pensée est constamment passée sous silence au profit de la rhétorique de la différence Québécoise.

Mais nous aurions tort de nous arrêter à cette similarité entre nos deux provinces autour de cette question, car tôt ou tard cela nous amènerait à faire notre propre construction idéologique des différences des provinces du Centre du Canada vis-à-vis des provinces de l'Ouest. Pour l'instant, cela démontre tout simplement que le Québec n'est pas si différent que cela sur la question des armes à feu.

Une deuxième conclusion que nous pourrions, et devrions à mon avis, tirer de ces résultats est qu'il existe des gens qui pensent comme nous dans toutes les provinces, quel que soit notre point de vue. Pour les partisans du maintien du registre, ces millions de Canadiens qui pensent comme nous sont et devraient être considérés comme des alliés potentiels dans notre lutte pour sauvegarder le registre des armes à feu, des alliés qui connaissent bien leur milieu et qui seraient en mesure d'influencer leurs voisins indécis.

Prenons le cas de la question du sondage où une différence semble se dégager dans les opinions des Québécois vis-à-vis de celles des autres Canadiens : « Do you support or oppose scrapping the long gun registry ? ». 51% des Québécois s'opposent à l'abolition du registre, contre 34% d'Ontariens et 28% de Britanno-colombiens, dont environ 25% n'ont pas d'opinions arrêtés sur le sujet. Plutôt que de souligner à grand trait cette différence de 17% et de la brandir en disant « Les Québécois sont différents» ou « Le Québec est à part », et même de l'utiliser éventuellement comme une autre raison de se séparer, pourquoi le Bloc ne s'allie-t-il pas avec l'écrasante majorité de députés libéraux pour tenter de convaincre les 24% d'indécis de la valeur de l'importance du registre ? Pour ma part, je trouverais plus acceptable que le chef du Bloc fasse une tournée canadienne pour défendre le registre que pour promouvoir la souveraineté, sans toujours souligner comme il le fait la 'différence' et la 'distinction' du Québec.

Des discussions constitutionnelles aux débats sociaux et politiques autours d'enjeux précis comme celui du Registre des armes à feux, la 'différence' du Québec est invoquée de façon constante, comme un dogme religieux. Or cette perception de notre différence est le fruit d'une construction idéologique concertée entre l'intelligentsia et les politiciens nationalistes, laquelle nuit aux Québécois plutôt qu'elle ne les sert. L'exemple de l'analyse du sondage sur la question des armes à feu fait aujourd'hui par un journaliste du Devoir n'en est qu'un parmi tant d'autres. Il suffit d'ouvrir les yeux, de questionner l'utilité de chercher la différence plutôt que les points communs, et de voir les autres Canadiens comme des alliés dans la résolution de nos problèmes communs.

Philippe Allard
Candidat du Parti libéral du Canada dans Laurier-Ste-Marie

http://www.visioncritical.com/2010/08/two-in-five-canadians-would-scrap-long-gun-registry
http://www.ledevoir.com/politique/canada/294909/armes-a-feu-l-abolition-du-registre-divise-les-canadiens

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire