dimanche 21 février 2010

L'exemple de Johnny Weir

Je joins ma voix au Conseil québécois des gais et lesbiennes dans sa dénonciation des propos homophobes tenus par les animateurs sportifs Claude Mailhot et Alain Goldberg. Le CQGL a exigé des excuses de la part des animateurs pour des propos tenus devant des dizaines de milliers de téléspectateurs en marge des compétitions de patinage artistiques dans le cadre des Jeux olympiques de Vancouver, le 17 février dernier. Ils concernaient le patineur artistique américain Johnny Weir.

Mais que furent donc ces propos ? Goldberg : « Il (Weir) se fait décrier et on n’a pas tort de le décrier. Il a du rouge à lèvres, il s’habille de façon féminine, il essaie d’être le plus féminin possible sur la glace. Il a le droit ; il a droit d’être ce qu’il est, il a le droit d’être comme il veut, mais évidemment cela laisse une image assez amère pour le patinage artistique. C’est très ennuyeux parce qu’on pense que tous les garçons qui patinent vont devenir comme lui. C’est un très mauvais exemple». Après cette tirade de Goldberg, Claude Mailhot affirme grossièrement qu’on « devrait lui faire passer des tests de féminité », en référence à l’affaire Caster Semenya, cette sprinteuse sud-africaine, dont le genre a été mis en doute. « Il devrait peut-être être en compétition féminine». On aimerait que cela se passe de commentaire, mais il faut, au contraire, réagir haut et fort, comme l’a fait le CQGL et de centaines de personnes sur Facebook ou ailleurs.

Suite au tollé suscité par leurs propos et à la demande faite par le CQGL, les animateurs ont présenté des excuses, mais des excuses qui non seulement n'apparaissaient pas sincères, ce qui peut toujours se discuter, mais qui ne portaient pas sur l'aspect le plus homophobe et méprisant de leur propos. Les « excuses » de Claude Mailhot portaient sur leur commentaires à propos des vêtements porté par M. Weir, commentaires qui étaient en fait des jugement de valeurs sur ce qui constitue la normalité. Leur affirmation à l'effet que « la tenue vestimentaire et la gestuelle » alimentaient les stéréotypes envers le patinage artistique, dite devant des milliers de spectateurs, a eu pour effet de renforcir les stéréotypes, et non de les combattre. Selon eux, leur intention n'était pas de « choquer certaines personnes » (les âmes sensibles soumises à la rectitude politique), et c'est pour cela qu'ils présentaient des excuses. Là n'est pas le problème. Le problème vient du fait d'avoir contribué à renforcer les stéréotypes et les jugements de valeurs auprès d'un vaste public déjà peu enclin à accepter la différence qui s’exprime.

MM. Mailhot et Goldberg, de même que plusieurs personnes de la ‘majorité silencieuse’ au nom desquelles ils pensaient s'exprimer, ne connaissent peut-être pas le terme savant d’hétéronormativité, pas plus que les effets néfastes de cette idéologie sur ceux qui sont et qui se sentent différents. L’hétéronormativité est la tendance à voir les relations humaines et les façons d’être d’une stricte perspective hétérosexuelle. Selon cette façon de voir la vie, il n’existe qu’une seule façon, une façon normale, d’être en couple, une seule façon d’être une vraie femme et d’être un vrai homme, une seule façon d’être un patineur artistique, et elle correspond comme par hasard à celle de la ‘majorité silencieuse’. Un jeune homme, un sportif de sucroît, qui se maquille et qui porte de vêtements soi-disant féminin n’entre pas dans la catégorie à laquelle on voudrait le voir assigné. En fait, il brouille les catégories et les frontières et c’est cela qui inquiète tant de gens. Cette inquiétude n’a aucune raison d’être.

Pour d’autres, Johnny Weir représente une libération, voire un excellent exemple, notamment pour les adolescents, filles ou garçons, qui se sentent différents, qui aimeraient bien pouvoir exprimer leur différence à l’extérieur des catégories imposées par la majorité, et qui sont à la recherche de modèle. Un modèle où la différence peut-être un atout, peut-être valorisée. Bref, pouvoir exprimer une façon d’être différente de la majorité dans un autre cadre qu’une parade sur Sainte-Catherine. Aux olympiques, par exemple.

Les animateurs, et les dirigeants du réseau, auraient pu et auraient dû mettre un terme à l'affaire en présentant des excuses adéquates et responsables. Ils auraient pu eux-mêmes montré l’exemple en restant silencieux sur leurs propres préférences personnelles.

3 commentaires:

  1. C'est vrai que M. Weir qui a le courage d'imposer une différance importante avec la norme mérite d'être cité comme modèle puisqu'en cela il dépasse certainement le sport professionnel qui en est toujours sous la loi du silence face à l'orientation sexuelle. M. Weir fait certainement avancer l'humanité par ce courage qu'il démontre.

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  2. Monsieur Allard, votre propos est agréable à lire.
    Comme vous et beaucoup de gens autour de moi j'ai été très choquée par le fait que les commentateurs ont oublié la performance de l'athlète au profit de l'esthétique. Ils ont eu une crise de condescendance épouvantable. Ils se sont improvisés juges du bon gout (sic). C'est aussi un fait grave qu'un sous-ministre adjoint au MELS manque autant de discernement quant à la compétence versus l'apparence physique. Cet homme faisant partie des gestionnaires de notre système d'éducation (tuant élèves et enseignants à coup de coupures) s'attarde davantage au superficiel qu'au fondamental ? Au secours.

    Je suis une personne au profil banal, mère de famille et enseignante. Mais je dois dire qu'en patinage artistique, l'allure et le style du patineur font partie intégrante du spectacle. Un peu comme un spectacle de ballet, de cirque ou la danse. Et puis on s'en balance royalement de son orientation sexuelle... non, mais ! Lorsque le patineur est à l'aise, ça se voit et c'est beau. En ce sens, monsieur Weir nous apporte du changement et ça fait du bien.

    Pour les conservateurs qui s'inquièteraient, je dis : ben non! ton fils ne sera pas tenu de l'imiter s'il ne veut pas.. et s'il le fait, c'est qu'il l'aurait fait de toute façon! Et alors ?

    Merci de m'avoir lue.


    N.b. Ce commentaire a été rédigé en orthographe rectifiée.

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  3. Merci de vos bons commentaires. Ma crainte est que l'expression de jugements de valeur de ce type soit souhaitée, plutôt que craints, par certains réseaux de télévision, afin de mousser leurs cotes d'écoute. Affirmer, comme les animateurs ont fait, qu'ils ne faisaient que dire "ce que la majorité pense tout bas" est inquiétant. Ils oublient que chacun de nous avons des fortes chances de se retrouver dans une minorité (sexuelle, ethnique, politique, etc) à un moment où l'autre de notre vie, en opposition à une majorité normalisatrice.

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